La Terre
La Terre (paragraphe n°2230)
Chapitre II
Le père Fouan, bien qu'il évitât de s'en mêler, était de toutes les querelles. S'il se taisait, on le forçait à prendre parti ; s'il sortait, il retombait au retour dans un ménage en déroute, où sa présence suffisait souvent à rallumer les colères. Jusque-là, il n'avait pas souffert réellement, physiquement ; tandis que commençaient à cette heure les privations, le pain mesuré, les douceurs supprimées. On ne le bourrait plus de nourriture ainsi qu'aux premiers jours, chaque tartine coupée trop épaisse lui attirait des paroles dures : quel trou ! moins on travaillait, plus on bâfrait, alors ! Il était guetté, dévalisé, tous les trimestres, quand il revenait de toucher à Cloyes la rente que monsieur Baillehache lui faisait, sur les trois mille francs de la maison. Françoise en arrivait à voler des sous à sa sœur, pour lui acheter du tabac, car on la laissait, elle aussi, sans argent. Enfin, le vieux se trouvait très mal dans la chambre humide où il couchait, depuis qu'il avait cassé un carreau de la lucarne, qu'on avait bouchée avec de la paille, pour éviter la dépense de cette vitre à remettre. Ah ! ces gueux d'enfants, tous les mêmes ! Ilgrognait du matin au soir, il regrettait mortellement d'avoir quitté les Delhomme, désespéré d'être tombé d'un mal dans un pire. Mais ce regret, il le cachait, ne le témoignait que par des mots involontaires, car il savait que Fanny avait dit : " Papa, il viendra nous demander à genoux de le reprendre ! " Et c'était fini, cela lui restait pour toujours, comme une barre obstinée, en travers du cœur. Il serait plutôt mort de faim et de colère chez les Buteau, que de retourner s'humilier chez les Delhomme.