La Terre
La Terre (paragraphe n°2194)
Chapitre II
Ce fut alors que la haine lente, inconsciente, s'aggrava entre Lise et Françoise. Leur bonne tendresse de jadis en arrivait à une rancune sans raison apparente, qui les heurtait du matin au soir. Au fond, la cause unique était l'homme, ce Buteau, tombé là comme un ferment destructeur. Françoise, dans le trouble dont il l'exaspérait, aurait succombé depuis longtemps, si sa volonté ne s'était bandée contre le besoin de se laisser faire, chaque fois qu'il la touchait. Elle s'en punissait durement, entêtée à cette idée simple du juste, ne rien donner d'elle, ne rien prendre aux autres ; et sa colère était de se sentir jalouse, d'exécrer sa sœur, parce que celle-ci avait à elle cet homme, près duquel elle-même serait morte d'envie, plutôt que de partager. Quand il la poursuivait, débraillé, le ventre en avant, elle crachait furieusement sur sa nudité de mâle, elle le renvoyait à sa femme, avec ce crachat : c'était un soulagement à son désir combattu, comme si elle eût craché au visage de sa sœur, dans le mépris douloureux du plaisir dont elle n'était pas. Lise, elle, n'avait point de jalousie, certaine que Buteau s'était vanté en gueulant qu'il se servait d'elles deux ; non qu'ellele crût incapable de la chose ; mais elle était convaincue que la petite, avec son orgueil, ne céderait pas. Et elle lui en voulait uniquement de ce que ses refus changeaient la maison en un véritable enfer. Plus elle grossissait, plus elle se tassait dans sa graisse, satisfaite de vivre, d'une gaieté d'égoïsme rapace, ramenant à elle la joie d'alentour. Etait-ce possible qu'on se disputât de la sorte, qu'on se gâtât l'existence lorsqu'on avait tout pour être heureux ! Ah ! la bougresse de gamine, dont le sacré caractère était la seule cause de leurs embêtements !