La Terre
La Terre (paragraphe n°1603)
Partie : TROISIEME PARTIE, chapitre III
Après les deux litres, Jésus-Christ en demanda deux autres, du vin bouché, à vingt sous ; il payait à mesure, pour étonner, cognant son argent sur la table, révolutionnant le cabaret ; et, quand la première pièce de cinq francs fut bue, il en tira une seconde, se la vissa de nouveau dans l'œil, cria que lorsqu'il n'y en avait plus, il y en avait encore. L'après-midi s'écoula de la sorte, dans la bousculade des buveurs qui entraient et qui sortaient, au milieu de la soûlerie montante. Tous, si mornes et si réfléchis en semaine, gueulaient, tapaient des poings, crachaient violemment. Un grand maigre eut l'idée de se faire raser, et Lengaigne, tout de suite, l'assit parmi les autres, lui gratta le cuir si rudement, qu'on entendait le rasoir sur la couenne, comme s'il avait échaudé un cochon. Un deuxième prit la place, ce fut une rigolade. Et les langues allaient leur train, on daubait sur le Macqueron, qui n'osait plus sortir. Est-ce que ce n'était pas sa faute, à cet adjoint manqué, si le bal avait refusé de venir ? On s'arrange. Mais bien sûr qu'il aimait mieux voter des routes, pour se faire payer trois fois leur valeur les terrains qu'il donnait. Cette allusion souleva une tempête de rires. La grosse Flore, dont ce jour-là devait rester le triomphe, courait à la porte éclater d'une gaieté insultante, chaque fois qu'elle voyait passer, derrière les vitres d'en face, le visage verdi de Cœlina.