La Joie de vivre
La Joie de vivre (paragraphe n°426)
Chapitre III
Pourtant, un vague trouble montait en elle. Lorsque Lazare la bousculait parfois fraternellement, elle restait quelques secondes étouffée, le cœur battant à grands coups. La femme, qu'ils oubliaient tous deux, se réveillait dans sa chair, avec la poussée même de son sang. Un jour, comme il se tournait, il la heurta du coude. Elle jeta un cri, elle porta les mains à sa gorge. Quoi donc ? il lui avait fait du mal ? mais il l'avait à peine touchée ! et, d'un geste naturel, il voulut écarter son fichu, pour voir. Elle s'était reculée, ils demeurèrent face à face, confus, souriant d'un air contraint. Un autre jour, au courant d'une expérience, elle refusa de tremper ses mains dans l'eau froide. Lui, s'étonnait, s'irritait : pourquoi ? quel drôle de caprice ! si elle ne l'aidait pas, elle ferait mieux de descendre. Puis, la voyant rougir, il comprit, il la regarda d'un visage béant. Alors, cette gamine, ce frère cadet était décidément une femme ? on ne pouvait l'effleurer sans qu'elle jetât une plainte, on ne devait seulement pas compter sur elle à toutes les époques du mois. A chaque fait nouveau, c'était une surprise, comme une découverte imprévue qui les embarrassait et les émotionnait l'un et l'autre, dans leur camaraderie de garçons. Lazare semblait n'en éprouver que de l'ennui, ça n'allait plus être possible de travailler ensemble, puisqu'elle n'était pas un homme et qu'un rien la dérangeait. Quant à Pauline, elle en gardait une sorte de malaise, une anxiété où grandissait un charme délicieux.