La Joie de vivre
La Joie de vivre (paragraphe n°319)
Chapitre II
Pauline surtout, après lui avoir sauté au cou en gamine qui ne dissimulait point encore ses tendresses, restait surprise de le sentir autre. Cela la chagrinait presque, qu'il cessât de causer musique, au moins un peu, comme récréation. Est-ce que, vraiment, on pouvait ne plus aimer une chose, lorsqu'on l'avait beaucoup aimée ? Le jour où elle l'interrogea sur sa symphonie, il se mit à plaisanter, en disant que c'était bien fini, ces bêtises ; et elle devint toute triste. Puis, elle le voyait gêné vis-à-vis d'elle, riant d'un vilain rire, ayant dans les yeux, dans les gestes, dix mois d'une existence qu'on ne pouvait raconter aux petites filles. Lui-même avait vidé sa malle, pour cacher ses livres, des romans, des volumes de science pleins de gravures. Il ne la faisait plus tourner comme une toupie, les jupes volantes, décontenancé parfois, quand elle s'entêtait à entrer et à vivre dans sa chambre. Cependant, elle avait à peine grandi, elle le regardait en face de ses yeux purs d'innocente ; et, au bout de huit jours, leur camaraderie de garçons s'était renouée. La rude brise de mer le lavait des odeurs du quartier Latin, il se retrouvait enfant avec cette enfant bien portante, aux gaietés sonores. Tout fut repris, tout recommença, les jeux autour de la grande table, les galopades en compagnie de Mathieu et de la Minouche au fond du potager, et les courses jusqu'à la baie du Trésor, et les bains candides sous le soleil, dans la joie bruyante des chemises qui claquaient sur leurs jambes comme des drapeaux. Justement, cette année-là, Louise, venue en mai à Bonneville, était allée passer les vacancesprès de Rouen, chez d'autres amis. Deux mois adorables coulèrent, pas une bouderie ne gâta leur amitié.