La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°19)

Chapitre I

Un besoin de voir le poussait. Il ouvrit la porte vitrée, risqua ses chaussons de lisières sur le gravier de la terrasse, qui dominait le village. Quelques gouttes de pluie volant dans l'ouragan lui cinglèrent le visage, un souffle terrible fit claquer son veston de grosse laine bleue. Mais il s'entêtait, sans casquette, le dos arrondi ; et il vint s'accouder au parapet, pour surveiller la route, enbas. Cette route dévalait entre deux falaises, on aurait dit un coup de hache dans le roc, une fente qui avait laissé couler les quelques mètres de terre, où se trouvaient plantées les vingt-cinq à trente masures de Bonneville. Chaque marée semblait devoir les écraser contre la rampe, sur leur lit étroit de galets. A gauche, il y avait un petit port d'échouage, une bande de sable, où des hommes hissaient à cris réguliers une dizaine de barques. Ils n'étaient pas deux cents habitants, ils vivaient de la mer, fort mal, collés à leur rocher avec un entêtement stupide de mollusques. Et, au-dessus des misérables toits, défoncés chaque hiver par les vagues, on ne voyait sur les falaises, à demi-pente, que l'église à droite, et que la maison des Chanteau à gauche, séparées par le ravin de la route. C'était là tout Bonneville.

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