La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1755)

Chapitre IX

La maison dormait, elle n'entendait, dans le silence de la chambre, que le bruit de son sang, dont le flot battait à ses tempes. C'était une révolte qui, peu à peu, s'enflait et éclatait. Pourquoi n'avait-elle pas épousé Lazare ? Il lui appartenait, elle pouvait ne pas le donner. Peut-être se serait-il désespéré d'abord, mais elle aurait bien su lui souffler son courage ensuite, le défendre contre les cauchemars imbéciles. Toujours elle avait eu la sottise de douter d'elle, l'unique cause de leur malheur était là. Et la conscience de sa force, toute sa santé, toutes ses tendresses, grondaient, s'affirmaient enfin. Est-ce qu'elle ne valait pas mieux que l'autre ? Quelle était donc sa stupidité, de s'être effacée ainsi ? Maintenant, elle lui niait même sa passion, malgré ses abandons d'amante sensuelle, car elle trouvait dans son propre cœur une passion plus large, celle qui se sacrifie à l'être aimé. Elle aimait assez son cousin pour disparaître, si l'autre l'avait rendu heureux ; mais, puisque l'autre ne savait comment garder le grand bonheur de l'avoir, n'allait-elle pas agir, rompre cette union mauvaise ? Et sa colère montait toujours, et elle se sentait plus belle, plus vaillante, elle regardait sa gorge et son ventre de vierge, dans le brusque orgueil de la femme qu'elle aurait pu être. Une certitude se faisait, foudroyante : c'était elle qui aurait dû épouser Lazare.

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