La Joie de vivre
La Joie de vivre (paragraphe n°1685)
Chapitre VIII
Mais elle se pencha davantage. La coulée rouge d'une goutte de sang, le long de sa cuisse, l'étonnait. Soudain elle comprit : sa chemise, glissée à terre, semblait avoir reçu l'éclaboussement d'un coup de couteau. C'était donc pour cela qu'elle éprouvait, depuis son départ de Caen, une telle défaillance de tout son corps ? Elle ne l'attendait point si tôt, cette blessure, que la perte de son amour venait d'ouvrir, aux sources mêmes de la vie. Et la vue de cette vie qui s'en allait inutile, combla son désespoir. Lapremière fois, elle se souvenait d'avoir crié d'épouvante, lorsqu'elle s'était trouvée un matin ensanglantée. Plus tard, n'avait-elle pas eu l'enfantillage, le soir, avant d'éteindre sa bougie, d'étudier d'un regard furtif l'éclosion complète de sa chair et de son sexe ? Elle était fière comme une sotte, elle goûtait le bonheur d'être une femme. Ah ! misère ! la pluie rouge de la puberté tombait là, aujourd'hui, pareille aux larmes vaines que sa virginité pleurait en elle. Désormais, chaque mois ramènerait ce jaillissement de grappe mûre, écrasée aux vendanges, et jamais elle ne serait femme, et elle vieillirait dans la stérilité !