La Joie de vivre
La Joie de vivre (paragraphe n°1684)
Chapitre VIII
Un besoin d'ordre persistait, dans cette débâcle de sa vie. Elle serra soigneusement son chapeau, s'inquiéta d'un coup d'œil si ses bottines n'avaient pas souffert. Sa robeétait déjà pliée au dossier d'une chaise, elle n'avait plus qu'un jupon et sa chemise, lorsque son regard tomba sur sa gorge de vierge. Peu à peu, une flamme empourpra ses joues. Du trouble de son cerveau, des images se précisaient et se dressaient, les deux autres dans leur chambre, là-bas, une chambre qu'elle connaissait, où elle-même, le matin, avait porté des fleurs. La mariée était couchée, lui entrait, s'approchait avec un rire tendre. D'un geste violent, elle fit glisser son jupon, enleva sa chemise ; et, nue maintenant, elle se contemplait encore. Ce n'était donc pas pour elle cette moisson de l'amour ? Jamais sans doute les noces ne viendraient. Son regard descendait de sa gorge, d'une dureté de bouton éclatant de sève, à ses hanches larges, à son ventre où dormait une maternité puissante. Elle était mûre pourtant, elle voyait la vie gonfler ses membres, fleurir aux plis secrets de sa chair en toison noire, elle respirait son odeur de femme, comme un bouquet épanoui dans l'attente de la fécondation. Et ce n'était pas elle, c'était l'autre, au fond de cette chambre, là-bas, qu'elle évoquait nettement, pâmée entre les bras du mari dont elle-même attendait la venue depuis des années ?