La Joie de vivre
La Joie de vivre (paragraphe n°1384)
Chapitre VII
A la longue, elle cessa de plaisanter, inquiète de son malaise. Un matin, elle le surprit comme il baisait sept fois le bois du lit où sa mère était morte ; et elle fut alarmée, elle devinait les tortures dont il empoisonnait son existence. Lorsqu'il pâlissait en trouvant dans un journal une date future du XXe siècle, elle le regardait de son air de compassion, qui lui faisait détourner la tête. Il se sentait compris, il courait se cacher dans sa chambre, avec une pudeur confuse de femme dont on surprend la nudité. Que de fois il s'était traité de lâche ! que de fois il avait juré de lutter contre son mal ! Il se raisonnait, il arrivait à regarder la mort en face ; puis, pour la braver, au lieu de veiller dans un fauteuil, il s'allongeait tout desuite sur son lit. La mort pouvait venir, il l'attendait comme une délivrance. Mais, aussitôt, les battements de son cœur emportaient ses serments, et le souffle froid glaçait sa chair, et il tendait les mains en poussant son cri : " Mon Dieu ! mon Dieu ! " C'étaient des rechutes affreuses, qui l'emplissaient de honte et de désespoir. Alors, la pitié tendre de sa cousine achevait de l'accabler. Les journées devenaient si lourdes, qu'il les commençait sans jamais espérer les finir. A cet émiettement de son être, il avait d'abord perdu sa gaieté, et sa force elle-même à présent l'abandonnait.