La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1320)

Chapitre VII

Dès les premiers jours, il avait bien essayé de sortir, de reprendre ses longues promenades. Du moins, il aurait échappé au silence maussade de la bonne et au spectacle pénible de son père, abattu dans un fauteuil, ne sachant à quelle distraction occuper ses dix doigts. Mais une répugnance invincible de la marche lui était venue. Il s'ennuyait dehors, d'un ennui qui allait jusqu'au malaise.Cette mer, avec son éternel balancement, son flot obstiné dont la houle battait la côte deux fois par jour, l'irritait comme une force stupide, étrangère à sa douleur, usant là les mêmes pierres depuis des siècles, sans avoir jamais pleuré sur une mort humaine. C'était trop grand, trop froid, et il se hâtait de rentrer, de s'enfermer, pour se sentir moins petit, moins écrasé entre l'infini de l'eau et l'infini du ciel. Un seul endroit l'attirait, le cimetière qui entourait l'église : sa mère n'y était point, il y songeait à elle avec une grande douceur, il s'y calmait singulièrement, malgré sa terreur du néant. Les tombes dormaient dans l'herbe, des ifs avaient poussé à l'abri de la nef, on n'entendait que le sifflement des courlis, bercés au vent du large. Et il s'oubliait là des heures, sans pouvoir même lire sur les dalles les noms des vieux morts, effacés par les pluies battantes de l'ouest.

?>