La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1055)

Chapitre VI

Lazare, d'abord, s'était méprisé. La supériorité morale de Pauline, si droite, si juste, l'emplissait de honte et de colère. Pourquoi n'avait-il pas le courage de se confesser franchement à elle et de lui demander pardon ? Il lui aurait raconté cette aventure, la surprise de sa chair, l'odeur de femme coquette dont il venait de se griser ; et elle était d'esprit trop large pour ne pas comprendre. Maisun insurmontable embarras l'empêchait, il craignait de se diminuer encore aux yeux de la jeune fille, dans une explication où il bégaierait peut-être comme un enfant. Puis, il y avait au fond de son hésitation la peur d'un nouveau mensonge, car Louise le hantait toujours, il la revoyait, la nuit surtout avec le regret brûlant de ne l'avoir pas possédée, lorsqu'il la tenait défaillante sous ses lèvres. Malgré lui, ses longues promenades le ramenaient sans cesse du côté d'Arromanches. Un soir, il poussa jusqu'à la petite maison de la tante Léonie, il rôda autour du mur, et se sauva brusquement, au bruit d'un volet, bouleversé de la mauvaise action qu'il avait failli commettre. C'était cette conscience de son indignité qui redoublait sa gêne : il se jugeait, sans pouvoir tuer son désir ; à chaque heure, le débat recommençait, jamais il n'avait tant souffert de son irrésolution. Il ne lui restait assez d'honnêteté et de force que pour éviter Pauline, afin de s'épargner la bassesse dernière des faux serments. Peut-être l'aimait-il encore, mais l'image provocante de l'autre était continuellement là, effaçant le passé, bouchant l'avenir.

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