La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°969)

Partie : Préface, chapitre V

Ils passèrent deux jours encore à Orchères, le mardi et le mercredi, perdant le temps, aggravant leur situation. Le général, l'homme au sabre, que Silvère avait montré à Miette sur la route de Plassans, hésitait, pliait sous la terrible responsabilité qui pesait sur lui. Le jeudi, il jugea que décidément la position d'Orchères était dangereuse. Vers une heure, il donna l'ordre du départ, il conduisit sa petite armée sur les hauteurs de Sainte-Roure. C'était là,d'ailleurs, une position inexpugnable, pour qui aurait su la défendre. Sainte-Roure étage ses maisons sur le flanc d'une colline ; derrière la ville, d'énormes blocs de rochers ferment l'horizon ; on ne peut monter à cette sorte de citadelle que par la plaine des Nores, qui s'élargit au bas du plateau. Une esplanade, dont on a fait un cours, planté d'ormes superbes, domine la plaine. Ce fut sur cette esplanade que les insurgés campèrent. Les otages eurent pour prison une auberge, l'hôtel de la Mule-Blanche, située au milieu du cours. La nuit se passa lourde et noire. On parla de trahison. Dès le matin, l'homme au sabre, qui avait négligé de prendre les plus simples précautions, passa une revue. Les contingents étaient alignés, tournant le dos à la plaine, avec le tohu-bohu étrange des costumes, vestes brunes, paletots foncés, blouses bleues, serrées par des ceintures rouges ; les armes, bizarrement mêlées, luisaient au soleil clair, les faux aiguisées de frais, les larges pelles de terrassier, les canons brunis des fusils de chasse : lorsque, au moment où le général improvisé passait à cheval devant la petite armée, une sentinelle, qu'on avait oubliée dans un champ d'oliviers, accourut en gesticulant, en criant :

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