La Fortune des Rougon
La Fortune des Rougon (paragraphe n°928)
Partie : Préface, chapitre V
Maintenant, elle s'écartait pour se déshabiller, elle se cachait. Dans l'eau, elle demeurait silencieuse ; elle ne voulait plus que Silvère la touchât ; elle se coulait doucement à son côté, nageant avec le petit bruit d'un oiseau dont le vol traverse un taillis ; ou parfois elle tournait autour de lui, prise de craintes vagues qu'elle ne s'expliquait pas. Lui-même s'éloignait, quand il frôlait un de ses membres. La rivière n'avait plus pour eux qu'une ivresse amollie, un engourdissement voluptueux, qui les troublait étrangement. Quand ils sortaient du bain, surtout, ils éprouvaient des somnolences, des éblouissements. Ils étaient comme épuisés. Miette mettait une grande heure à s'habiller. Elle ne passait d'abord que sa chemise et une jupe ; puis elle restait là, étendue sur l'herbe, se plaignant de fatigue, appelant Silvère, qui se tenait à quelques pas, la tête vide, les membres pleins d'une étrange et excitante lassitude. Et, au retour, il y avait plus d'ardeur dans leur étreinte, ils sentaient mieux, à travers leurs vêtements, leur corps assoupli par le bain, ils s'arrêtaient en poussant de gros soupirs. Le chignon énorme de Miette, encore tout humide, sa nuque, ses épaules avaient une senteur fraîche, une odeur pure, qui achevaient de griser le jeune homme. L'enfant, heureusement, déclara un soir qu'elle ne prendrait plus de bains, que l'eau froide lui faisait monter le sang à la tête.Sans doute elle donna cette raison en toute vérité, en toute innocence.