La Fortune des Rougon
La Fortune des Rougon (paragraphe n°868)
Partie : Préface, chapitre V
Ce mois de tendresse joueuse sauva Miette de ses désespoirs muets. Elle sentit se réveiller ses affections, ses insouciances heureuses d'enfant, que la solitude haineuse où elle vivait avait comprimées en elle. La certitude qu'elle était aimée par quelqu'un, qu'elle ne se trouvait plus seule au monde, lui rendit tolérables les persécutions de Justin et des gamins du faubourg. Il yavait maintenant une chanson dans son cœur qui l'empêchait d'entendre les huées. Elle pensait à son père avec une pitié attendrie, elle ne s'abandonnait plus aussi souvent à des rêveries d'implacable vengeance. Ses amours naissantes étaient comme une aube fraîche dans laquelle se calmaient ses mauvaises fièvres. Et en même temps, une rouerie de fille amoureuse lui venait. Elle s'était dit qu'elle devait garder son attitude muette et révoltée, si elle voulait que Justin n'eût aucun soupçon. Mais, malgré ses efforts, lorsque ce garçon la blessait, il lui restait de la douceur plein les yeux ; elle ne savait plus où prendre le regard noir et dur d'autrefois. Il l'entendait aussi chantonner entre ses dents, le matin, au déjeuner.