La Fortune des Rougon
La Fortune des Rougon (paragraphe n°746)
Partie : Préface, chapitre V
Cependant Miette et Silvère allaient dans l'emportement de la bande. Vers le matin, la jeune fille était brisée de fatigue. Elle ne marchait plus qu'à petits pas pressés, ne pouvant suivre les grandes enjambées des gaillards qui l'entouraient. Mais elle mettait tout son courage à ne pas se plaindre ; il lui eût trop coûté d'avouer qu'elle n'avait pas la force d'un garçon. Dès les premières lieues, Silvère lui avait donné le bras ; puis, voyant que le drapeau glissait peu à peu de ses mains roidies, il avait voulu le prendre, pour la soulager ; et elle s'était fâchée, elle lui avait seulement permis de soutenir le drapeau d'une main, tandis qu'elle continuerait à le porter sur son épaule. Elle garda ainsi son attitude héroïque avec une opiniâtreté d'enfant, souriant au jeune homme chaque fois qu'il lui jetait un regard de tendresse inquiète. Mais quand la lune se cacha, elle s'abandonna dans le noir. Silvère la sentait devenir plus lourde à son bras. Il dut porter le drapeau et la prendre à la taille, pour l'empêcher de trébucher. Elle ne se plaignait toujours pas.