La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°666)

Partie : Préface, chapitre IV

Dans ces dispositions d'esprit, il accueillit le coup d'Etat avec la joie chaude et bruyante d'un chien qui flaire la curée. Les quelques libéraux honorables de la ville n'ayant pu s'entendre et se tenant à l'écart, il se trouva naturellement un des agents les plus en vue de l'insurrection. Les ouvriers, malgré l'opinion déplorable qu'ils avaient fini par avoir de ce paresseux, devaient le prendre à l'occasion comme un drapeau de ralliement. Mais les premiers jours, la ville restant paisible, Macquart crut ses plans déjoués. Ce fut seulement à la nouvelle du soulèvement des campagnes, qu'il se remit à espérer. Pour rien au monde, il n'aurait quitté Plassans ; aussi inventa-t-il un prétexte pour ne pas suivre les ouvriers qui allèrent, le dimanche matin, rejoindre labande insurrectionnelle de La Palud et de Saint-Martin-de-Vaulx. Le soir du même jour, il était avec quelques fidèles dans un estaminet borgne du vieux quartier, lorsqu'un camarade accourut les prévenir que les insurgés se trouvaient à quelques kilomètres de Plassans. Cette nouvelle venait d'être apportée par une estafette qui avait réussi à pénétrer dans la ville, et qui était chargée d'en faire ouvrir les portes à la colonne. Il y eut une explosion de triomphe. Macquart surtout parut délirer d'enthousiasme. L'arrivée imprévue des insurgés lui sembla une attention délicate de la Providence à son égard. Et ses mains tremblaient à la pensée qu'il tiendrait bientôt les Rougon à la gorge.

?>