La Fortune des Rougon
La Fortune des Rougon (paragraphe n°600)
Partie : Préface, chapitre IV
Antoine chercha donc à attirer Silvère chez lui, en affichant une admiration immodérée pour les idées du jeune homme. Dès le début, il faillit tout compromettre: il avait une façon intéressée de considérer le triomphe de la République, comme une ère d'heureuse fainéantise et de mangeailles sans fin, qui froissa les aspirations purement morales de son neveu. Il comprit qu'il faisait fausse route, il se jeta dans un pathos étrange, dans une enfilade de mots creux et sonores, que Silvère accepta comme une preuve suffisante de civisme. Bientôt l'oncle et le neveu se virent deux et trois fois par semaine. Pendant leurs longues discussions, où le sort du pays était carrément décidé, Antoine essaya de persuader au jeune homme que le salon des Rougon était le principal obstacle au bonheur de la France. Mais, de nouveau, il fit fausse route en appelant sa mère " vieille coquine " devant Silvère. Il alla jusqu'à lui raconter les anciens scandales de la pauvre vieille. Le jeune homme, rouge de honte, l'écouta sans l'interrompre. Il ne lui demandait pas ces choses, il fut navré d'une pareille confidence, qui le blessait dans ses tendresses respectueuses pour tante Dide. A partir de ce jour, il entoura sa grand-mère de plus de soins, il eut pour elle de bons sourires et de bons regards de pardon.D'ailleurs, Macquart s'était aperçu qu'il avait commis une bêtise, et il s'efforçait d'utiliser les tendresses de Silvère en accusant les Rougon de l'isolement et de la pauvreté d'Adélaïde. A l'entendre, lui avait toujours été le meilleur des fils, mais son frère s'était conduit d'une façon ignoble ; il avait dépouillé sa mère, et aujourd'hui qu'elle n'avait plus le sou, il rougissait d'elle. C'était, sur ce sujet, des bavardages sans fin. Silvère s'indignait contre l'oncle Pierre, au grand contentement de l'oncle Antoine.