La Fortune des Rougon
La Fortune des Rougon (paragraphe n°233)
Partie : Préface, chapitre II
D'ailleurs, la jeune femme ne regarda pas cette marmaille comme une cause de ruine. Au contraire, elle reconstruisit sur la tête de ses fils l'édifice de sa fortune, qui s'écroulait entre ses mains. Ils n'avaient pas dix ans, qu'elle escomptait déjà en rêve leur avenir. Doutant de jamais réussir par elle-même, elle se mit à espérer en eux pour vaincre l'acharnement du sort. Ils satisferaient ses vanités déçues, ils lui donneraient cette position riche et enviée qu'elle poursuivait en vain. Dès lors, sans abandonner la lutte soutenue par la maison de commerce, elle eut une seconde tactique pour arriver à contenter ses instincts de domination. Il lui semblait impossible que, sur ses trois fils, il n'y eût pas un homme supérieur qui les enrichirait tous. Elle sentait cela, disait-elle. Aussi soigna-t-elle les marmots avec une ferveur où il y avaitdes sévérités de mère et des tendresses d'usurier. Elle se plut à les engraisser amoureusement comme un capital qui devait plus tard rapporter de gros intérêts.