La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1484)

Partie : Préface, chapitre VI

Les gardes nationaux restés aux remparts avaient, eux aussi, entendu les coups de feu. Ils accoururent à la débandade, par groupes de cinq ou six, croyant que les insurgés étaient entrés au moyen de quelque souterrain, et troublant le silence des rues du tapage de leur course ahurie. Roudier arriva un des premiers. Mais Rougon les renvoya à leurs postes, en leur disant sévèrement qu'on n'abandonnait pas ainsi les portes d'une ville. Consternés de ce reproche - car, dans leur panique, ils avaient, en effet, laissé les portes sans un défenseur -, ils reprirent leur galop, ils repassèrent dans les rues avec un fracas plus épouvantable encore. Pendant une heure, Plassans put croire qu'une armée affolée le traversait en tous sens.La fusillade, le tocsin, les marches et les contremarches des gardes nationaux, leurs armes qu'ils traînaient comme des gourdins, leurs appels effarés dans l'ombre, faisaient un vacarme assourdissant de ville prise d'assaut et livrée au pillage. Ce fut le coup de grâce pour les malheureux habitants, qui crurent tous à l'arrivée des insurgés ; ils avaient bien dit que ce serait leur nuit suprême, que Plassans, avant le jour, s'abîmerait sous terre ou s'évaporerait en fumée ; et, dans leur lit, ils attendaient la catastrophe, fous de terreur, s'imaginant par instants que leur maison remuait déjà.

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