La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1483)

Partie : Préface, chapitre VI

Le guet-apens avait éclaté comme un coup de foudre dans la ville endormie. Les habitants des rues voisines, réveillés par le bruit de cette fusillade infernale, s'étaientassis sur leur séant, les dents claquant de peur. Pour rien au monde, ils n'auraient mis le nez à la fenêtre. Et, lentement, dans l'air déchiré par les coups de feu, une cloche de la cathédrale sonna le tocsin, sur un rythme si irrégulier, si étrange, qu'on eût dit un martèlement d'enclume, un retentissement de chaudron colossal battu par le bras d'un enfant en colère. Cette cloche hurlante, que les bourgeois ne reconnurent pas, les terrifia plus encore que les détonations des fusils, et il y en eut qui crurent entendre les bruits d'une file interminable de canons roulant sur le pavé. Ils se recouchèrent, ils s'allongèrent sous leurs couvertures, comme s'ils eussent couru quelque danger à se tenir sur leur séant, au fond des alcôves, dans les chambres closes ; le drap au menton, la respiration coupée, ils se firent tout petits, tandis que les cornes de leurs foulards leur tombaient dans les yeux, et que leurs épouses, à leur côté, enfonçaient la tête dans l'oreiller en se pâmant.

?>