La Fortune des Rougon
La Fortune des Rougon (paragraphe n°120)
Partie : Préface, chapitre I
C'était là qu'ils avaient osé se baiser sur les joues. Ce souvenir, que l'enfant venait d'évoquer, leur causa à tous deux une sensation délicieuse, émotion dans laquelle se mêlaient les joies de la veille et les espoirs du lendemain. Ils virent, comme à la lueur d'un éclair, les bonnes soirées qu'ils avaient vécues ensemble, surtout cette soirée de la Fête-Dieu, dont ils se rappelaient les moindres détails, le grand ciel tiède, le frais des saules de la Viorne, les mots caressants de leur causerie. Et, en même temps, tandis que les choses du passé leur remontaient au cœur avec une saveur douce, ils crurent pénétrer l'inconnu de l'avenir, se voir au bras l'un de l'autre, ayant réalisé leur rêve et se promenant dans la vie comme ils venaient de le faire sur la grande route, chaudement couverts d'une même pelisse. Alors le ravissement les reprit, les yeux sur les yeux, se souriant, perdus au milieu des muettes clartés.