La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°857)

Partie : Livre 2, chapitre VII

C'était Albine qui conduisait Serge, bien qu'elle parût se livrer à lui, faible, soutenue à son épaule. Elle le mena d'abord à la grotte. Au fond d'un bouquet de peupliers et de saules, une rocaille se creusait, effondrée, des blocs de rochers tombés dans une vasque, des filets d'eau coulant à travers les pierres. La grotte disparaissait sous l'assaut des feuillages. En bas, des rangées de roses trémières semblaient barrer l'entrée d'une grille de fleurs rouges, jaunes, mauves, blanches, dont les bâtons se noyaient dans des orties colossales, d'un vert de bronze, suant tranquillement les brûlures de leur poison. Puis, c'était un élan prodigieux, grimpant en quelques bonds : les jasmins, étoilés de leurs fleurs suaves ; les glycines, aux feuilles de dentelle tendre ; les lierres épais, découpés comme de la tôle vernie ; les chèvrefeuilles souples, criblés de leurs brins de corail pâle ; les clématites amoureuses, allongeant les bras, pomponnées d'aigrettes blanches. Et d'autres plantes, plus frêles, s'enlaçaient encore à celles-ci, les liaient davantage, les tissaient d'une trame odorante. Des capucines, aux chairs verdâtres et nues, ouvraient des bouches d'or rouge. Des haricots d'Espagne, forts comme des ficelles minces, allumaient de place en place l'incendie de leurs étincelles vives. Des volubilis élargissaient le cœur découpé de leurs feuilles, sonnaient de leurs milliers de clochettes un silencieux carillon de couleurs exquises. Des pois de senteur, pareilsà des vols de papillons posés, repliaient leurs ailes fauves, leurs ailes roses, prêts à se laisser emporter plus loin, par le premier souffle de vent. Chevelure immense de verdure, piquée d'une pluie de fleurs, dont les mèches débordaient de toutes parts, s'échappaient en un échevellement fou, faisaient songer à quelque fille géante, pâmée au loin sur les reins, renversant la tête dans un spasme de passion, dans un ruissellement de crins superbes, étalés comme une mare de parfums.

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