La Faute de l'Abbé Mouret
La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°718)
Partie : Livre 2, chapitre III
Elle le coucha, elle ferma les fenêtres. Mais le lendemain, dès l'aube, elles étaient ouvertes. Serge ne pouvait plus vivre sans le soleil. Il prenait des forces, il s'habituait aux bouffées de grand air qui faisaient envoler les rideaux de l'alcôve. Même le bleu, l'éternel bleu commençait à lui paraître fade. Cela le lassait d'être un cygne, une blancheur, et de nager sans fin sur le lac limpide du ciel. Il en arrivait à souhaiter un vol de nuages noirs, quelque écroulement de nuées qui rompît la monotonie de cette grande pureté. A mesure que la santé revenait, il avait des besoins de sensations plus fortes. Maintenant, il passait des heures à regarder la branche verte ; il aurait voulu la voir pousser, la voir s'épanouir, lui jeter des rameaux jusque dans son lit. Elle ne lui suffisait plus, elle ne faisait qu'irriter ses désirs, en luiparlant de ces arbres dont il entendait les appels profonds, sans qu'il pût en apercevoir les cimes. C'étaient un chuchotement infini de feuilles, un bavardage d'eaux courantes, des battements d'ailes, toute une voix haute, prolongée, vibrante.