La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°633)

Partie : Livre 1, chapitre XVI

Les tempes en sueur, il alla ouvrir l'autre fenêtre, cherchant un air plus vif. En bas, à gauche, s'étendait le cimetière, avec la haute barre du Solitaire, dont pas une brise ne remuait l'ombre. Il montait du champ vide une odeur de pré fauché. Le grand mur gris de l'église, ce mur tout plein de lézards, planté de giroflées, se refroidissait sous la lune ; tandis qu'une des larges fenêtres luisait, les vitres pareilles à des plaques d'acier. L'église endormie ne devait vivre à cette heure que de la vie extra-humaine du Dieu de l'hostie, enfermé dans le tabernacle. Il songeait à la tache jaune de la villeuse, mangée par l'ombre, avec une tentation de redescendre, pour soulager sa tête malade, au milieu de ces ténèbres pures de toute souillure. Mais une terreur étrange le retint : il crut tout d'un coup, les yeux fixés sur les vitres allumées par lalune, voir l'église s'éclairer intérieurement d'un éclat de fournaise, d'une splendeur de fête infernale, où tournaient le mois de mai, les plantes, les bêtes, les filles des Artaud, qui prenaient furieusement des arbres entre leurs bras nus. Puis, en se penchant, au-dessous de lui, il aperçut la basse-cour de Désirée, toute noire, qui fumait. Il ne distinguait pas nettement les cases des lapins, les perchoirs des poules, la cabane des canards. C'était une seule masse tassée dans la puanteur, dormant de la même haleine pestilentielle. Sous la porte de l'étable, la senteur aigre de la chèvre passait ; pendant que le petit cochon, vautré sur le dos, soufflait grassement, près d'une écuelle vide. De son gosier de cuivre, le grand coq fauve Alexandre jeta un cri, qui éveilla au loin, un à un, les appels passionnés de tous les coqs du village.

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