La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°609)

Partie : Livre 1, chapitre XIV

Heure de volupté divine. Les livres de dévotion à la Vierge brûlaient entre ses mains. Ils lui parlaient une langue d'amour qui fumait comme un encens. Marie n'était plus l'adolescente voilée de blanc, les bras croisés, debout à quelques pas de son chevet ; elle arrivait au milieu d'une splendeur, telle que Jean la vit, vêtue de soleil, couronnée de douze étoiles, ayant la lune sous les pieds ; elle l'embaumait de sa bonne odeur, l'enflammait du désir du ciel, le ravissait jusque dans la chaleur des astres flambant à son front. Il se jetait devant elle, se criait son esclave ; et rien n'était plus doux que ce mot d'esclave, qu'il répétait, qu'il goûtait davantage, sur sa bouche balbutiante, à mesure qu'il s'écrasait à ses pieds,pour être sa chose, son rien, la poussière effleurée du vol de sa robe bleue. Il disait avec David : " Marie est faite pour moi. " Il ajoutait avec l'évangéliste : " Je l'ai prise pour tout mon bien. " Il la nommait : " Ma chère maîtresse, " manquant de mots, arrivant à un babillage d'enfant et d'amant, n'ayant plus que le souffle entrecoupé de sa passion. Elle était la Bienheureuse, la Reine du ciel célébrée par les neuf chœurs des Anges, la Mère de la belle dilection, le Trésor du Seigneur. Les images vives s'étalaient, la comparaient à un paradis terrestre, fait d'une terre vierge, avec des parterres de fleurs vertueuses, des prairies vertes d'espérance, des tours imprenables de force, des maisons charmantes de confiance. Elle était encore une fontaine que le Saint-Esprit avait scellée, un sanctuaire où la très sainte Trinité se reposait, le trône de Dieu, la cité de Dieu, l'autel de Dieu, le temple de Dieu, le monde de Dieu. Et lui, se promenait dans ce jardin, à l'ombre, au soleil, sous l'enchantement des verdures ; lui, soupirait après l'eau de cette fontaine ; lui, habitait le bel intérieur de Marie, s'y appuyant, s'y cachant, s'y perdant sans réserve, buvant le lait d'amour infini qui tombait goutte à goutte de ce sein virginal.

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