La Faute de l'Abbé Mouret
La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°396)
Partie : Livre 1, chapitre XI
A seize ans, lorsque la puberté était venue, Désirée n'avait point eu les vertiges ni les nausées des autres filles. Elle prit une carrure de femme faite, se porta mieux, fit éclater ses robes sous l'épanouissement splendide de sa chair. Dès lors, elle eut cette taille ronde qui roulait librement, ces membres largement assis de statue antique, toute cette poussée d'animal vigoureux. On eût dit qu'elle tenait au terreau de sa basse-cour, qu'elle suçait la sève par ses fortes jambes, blanches et solides comme de jeunes arbres. Et, dans cette plénitude, pas un désir charnel ne monta. Elle trouva une satisfaction continue à sentir autour d'elle un pullulement. Des tas de fumier, des bêtes accouplées, se dégageait un flot de génération, au milieu duquel elle goûtait les joies de la fécondité. Quelque chose d'elle se contentait dans la ponte des poules ; elle portait ses lapines au mâle, avec des rires de belle fille calmée ; elle éprouvait des bonheurs de femme grosse à traire sa chèvre. Rien n'était plus sain. Elle s'emplissait innocemment de l'odeur, de la chaleur, de la vie. Aucune curiosité dépravée ne la poussait à ce souci de la reproduction, en face des coqs battant des ailes, des femelles en couches, du bouc empoisonnant l'étroite écurie. Elle gardait sa tranquillité de belle bête, son regard clair, vide de pensées, heureuse de voir son petit monde se multiplier, ressentant un agrandissement de son propre corps, fécondée, identifiée à ce point avec toutes ces mères, qu'elle était comme la mère commune, la mère naturelle, laissant tomber de ses doigts, sans un frisson, une sueur d'engendrement.