La Faute de l'Abbé Mouret
La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1968)
Partie : Livre 3, chapitre XII
Et elle le mena sous l'arbre géant, à la place même où elle s'était livrée, et où il l'avait possédée. C'était la même ombre de félicité, le même tronc qui respirait ainsi qu'une poitrine, les mêmes branches qui s'étendaient au loin, pareilles à des membres protecteurs. L'arbre restait bon, robuste, puissant, fécond. Comme au jour de leurs noces, une langueur d'alcôve, une lueur de nuit d'été mourant sur l'épaule nue d'une amoureuse, un balbutiement d'amour à peine distinct, tombant brusquement à un grand spasme muet, traînaient dans la clairière, baignée d'une limpidité verdâtre. Et, au loin, le Paradou, malgré le premier frisson de l'automne, retrouvait, lui aussi, ses chuchotements ardents. Il redevenait complice. Du parterre, du verger, des prairies, de la forêt, des grandesroches, du vaste ciel, arrivait de nouveau un rire de volupté, un vent qui semait sur son passage une poussière de fécondation. Jamais le jardin, aux plus tièdes soirées de printemps, n'avait des tendresses si profondes qu'aux derniers beaux jours, lorsque les plantes s'endormaient en se disant adieu. L'odeur des germes mûrs charriait une ivresse de désir, à travers les feuilles plus rares.