La Faute de l'Abbé Mouret
La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1926)
Partie : Livre 3, chapitre XII
Elle le mena aux prairies. Là, il dut faire quelques pas dans les herbes. Elles montaient à ses épaules, maintenant. Elles lui semblaient autant de bras minces qui cherchaient à le lier aux membres, pour le rouler et le noyer au fond de cette mer verte, interminable. Et il supplia Albine de ne pas aller plus loin. Elle marchait en avant, elle ne s'arrêta pas ; puis, voyant qu'il souffrait, elle se tint debout à son côté, peu à peu assombrie, finissant par être prise de frissons comme lui. Pourtant, elle paria encore. D'un geste large, elle indiqua les ruisseaux, les rangées de saules, les nappes d'herbe étalées jusqu'au bout de l'horizon. Tout cela était à eux, autrefois. Ils y vivaient des journées entières. Là-bas, entre ces trois saules, au bord de cette eau, ils avaient joué aux amoureux. Alors, ils auraient voulu que les herbes fussent plus grandes qu'eux, afin de se perdre dans leur flot mouvant, d'être plus seuls, d'être loin de tout, comme des alouettes voyageant au fond d'un champ de blé. Pourquoi donc tremblait-il aujourd'hui, rien qu'à sentir le bout de son pied tremper et disparaître dans le gazon ?