La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1899)

Partie : Livre 3, chapitre XI

L'abbé Mouret dormit d'un sommeil de plomb. Lorsqu'il ouvrit les yeux, plus tard que de coutume, il se trouva la face et les mains baignées de larmes ; il avait pleuré toute la nuit, en dormant. Il ne dit point sa messe, ce matin-là. Malgré son long repos, sa lassitude de la veille au soir était devenue telle, qu'il demeura jusqu'à midi dans sa chambre, assis sur une chaise, au pied de son lit. La stupeur, qui l'envahissait de plus en plus, lui ôtait jusqu'à la sensation de la souffrance. Il n'éprouvait plus qu'un grand vide ; il restait soulagé, amputé, anéanti. La lecture de son bréviaire lui coûta un suprême effort ; le latin des versets lui paraissait une langue barbare, dont il ne parvenait même plus à épeler les mots. Puis, le livre jeté sur le lit, il passa des heures à regarder la campagne par la fenêtre ouverte, sans avoir la force de venir s'accouder à la barre d'appui. Au loin, il apercevait le mur blanc du Paradou, un mince trait pâle courant à la crête des hauteurs, parmi les taches sombres des petits bois de pins. A gauche, derrière un de ces bois, se trouvait la brèche ; il ne la voyait pas, mais il la savait là ; il se souvenait des moindres bouts de ronce épars au milieu des pierres. La veille encore, il n'aurait point osé lever ainsi les regards sur cet horizon redoutable. Mais, à cette heure, il s'oubliait impunément à reprendre, après chaque bouquet de verdure, le fil interrompu de la muraille, pareille au liséré d'une jupe accroché à tous les buissons.Cela n'activait même pas le battement de ses veines. La tentation, comme dédaigneuse de la pauvreté de son sang, avait abandonné sa chair lâche. Elle le laissait incapable d'une lutte, dans la privation de la grâce, n'ayant même plus la passion du péché, prêt à accepter par hébétement tout ce qu'il repoussait furieusement la veille.

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