La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1848)

Partie : Livre 3, chapitre IX

Un grand frisson parut passer dans l'église. Le prêtre, effaré, redevenu d'une pâleur mortelle, écoutait. Qui donc avait parlé ? Qui avait blasphémé ? Brusquement la caresse de velours, dont il sentait la douceur sur sa nuque, était devenue féroce ; des griffes lui arrachaient la chair, son sang coulait une fois encore. Il resta debout pourtant, luttant contre la crise. Il injuriait le péché triomphant, qui ricanait autour de ses tempes, où tous les marteaux du mal recommençaient à battre. Ne connaissait-il pas ses traîtrises ? ne savait-il pas qu'il se fait un jeu souvent d'approcher avec des pattes douces, pour les enfoncer ensuite comme des couteaux jusqu'aux os de ses victimes ? Et sa rage redoublait, à la pensée d'avoir été pris à ce piège, ainsi qu'un enfant. Il serait donc toujours par terre, avec le péché accroupi victorieusement sur sa poitrine ! Maintenant, voilà qu'il niait Dieu. C'était la pente fatale. La fornication tuait la foi. Puis, le dogme croulait. Un doute de la chair, plaidant son ordure, suffisait à balayer tout le ciel. La règle divine irritait, les mystères faisaient sourire ; dans un coin de la religion abattue, on se couchait en discutant son sacrilège, jusqu'à ce qu'on se fût creusé un trou de bête cuvant sa boue. Alors venaient les autres tentations :l'or, la puissance, la vie libre, une nécessité irrésistible de jouir, qui ramenait tout à la grande luxure, vautrée sur un lit de richesse et d'orgueil. Et l'on volait Dieu. On cassait les ostensoirs pour les pendre à l'impureté d'une femme. Eh bien ! il était damné. Rien ne le gênait plus, le péché pouvait parler haut en lui. Cela était bon de ne plus lutter. Les monstres qui avaient rôdé derrière sa nuque se battaient dans ses entrailles, à cette heure. Il gonflait les flancs pour sentir leurs dents davantage. Il s'abandonnait à eux avec une joie affreuse. Une révolte lui faisait montrer les poings à l'église. Non, il ne croyait plus à la divinité de Jésus, il ne croyait plus à la sainte Trinité, il ne croyait qu'à lui, qu'à ses muscles, qu'aux appétits de ses organes. Il voulait vivre. Il avait le besoin d'être un homme. Ah ! courir au grand air, être fort, n'avoir pas de maître jaloux, tuer ses ennemis à coups de pierre, emporter à son cou les filles qui passent ! Il ressusciterait du tombeau où des mains rudes l'avaient couché. Il éveillerait sa virilité, qui ne devait être qu'endormie. Et qu'il expirât de honte, s'il trouvait sa virilité morte ! Et que Dieu fût maudit, s'il l'avait retiré d'entre les créatures, en le touchant de son doigt, afin de le garder pour son service seul !

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