La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1845)

Partie : Livre 3, chapitre IX

Et il continua sa rêverie. Jamais il n'avait vu les choses sous un jour aussi éclatant. Tout lui semblait aisé, à présent, tant il se jugeait fort. Puisque Albine l'attendait, il irait la rejoindre. Cela était naturel. Le matin, il avait bien marié le grand Fortuné à la Rosalie.L'Eglise ne défendait pas le mariage. Il les voyait encore se souriant, se poussant du coude sous ses mains qui les bénissaient. Puis, le soir, on lui avait montré leur lit. Chacune des paroles qu'il leur avait adressées éclatait plus haut à ses oreilles. Il disait au grand Fortuné que Dieu lui envoyait une compagne, parce qu'il n'a pas voulu que l'homme vécût solitaire. Il disait à la Rosalie qu'elle devait s'attacher à son mari, ne le quitter jamais, être sa servante soumise. Mais il disait aussi ces choses pour lui et pour Albine. N'était-elle pas sa compagne, sa servante soumise, celle que Dieu lui envoyait, afin que sa virilité ne se séchât pas dans la solitude ? D'ailleurs, ils étaient liés. Il restait très surpris de ne pas avoir compris cela tout de suite, de ne pas s'en être allé avec elle, comme le devoir l'exigeait. Mais c'était chose décidée, il la rejoindrait, dès le lendemain. En une demi-heure, il serait auprès d'elle. Il traverserait le village, il prendrait le chemin du coteau ; c'était de beaucoup le plus court. Il pouvait tout, il était le maître, personne ne lui dirait rien. Si on le regardait, il ferait, d'un geste, baisser toutes les têtes. Puis, il vivrait avec Albine. Il l'appellerait sa femme. Ils seraient très heureux. L'or montait de nouveau, ruisselait entre ses doigts. Il rentrait dans un bain d'or. Il emportait les vases sacrés pour les besoins de son ménage, menant grand train, payant ses gens avec des fragments de calice qu'il tordait entre ses doigts, d'un léger effort. Il mettait à son lit de noces les rideaux de drap d'or de l'autel. Comme bijoux, il donnait à sa femme les cœurs d'or, les chapelets d'or, les croix d'or, pendus au cou de la Vierge et des Saintes. L'église même, s'il l'élevait d'un étage, pourrait leur servir de palais. Dieu n'aurait rien à dire, puisqu'il permettait d'aimer. Du reste,que lui importait Dieu ! N'était-ce pas lui, à cette heure, qui était Dieu, avec ses pieds d'or que la foule baisait, et qui accomplissait des miracles.

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