La Faute de l'Abbé Mouret
La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1840)
Partie : Livre 3, chapitre IX
Cette fois, il était seul, il pouvait agoniser sans honte. Le péché venait de l'abattre d'un tel coup, qu'il n'avait pas la force de quitter la marche de l'autel, où il était tombé. Il continuait à y haleter d'un souffle fort, brûlé par l'angoisse, ne trouvant pas une larme. Et il pensait à sa vie sereine d'autrefois. Ah ! quelle paix, quelle confiance, lors de son arrivée aux Artaud ! Le salut lui semblait une belle route. Il riait, à cette époque, quand on parlait de la tentation. Il vivait au milieu du mal, sans le connaître, sans le craindre, avec la certitude de le décourager. Il était un prêtre parfait, si chaste, si ignorant devant Dieu, que Dieu le menait par la main, ainsi qu'un petit enfant. Maintenant, toute cette puérilité était morte. Dieu le visitait le matin, et aussitôt il l'éprouvait. La tentation devenait sa vie sur la terre. Avec l'âge, avec la faute, il entrait dans le combat éternel. Etait-ce donc que Dieu l'aimait davantage, à cette heure ? Les grands saints ont tous laissé des lambeaux de leurs corps aux épines de la voie douloureuse. Il tâchait de se faire une consolation de cette croyance. A chaque déchirement de sa chair, à chaque craquement de ses os, il se promettait des récompenses extraordinaires. Jamais le ciel ne le frapperait assez. Il allait jusqu'à mépriser son ancienne sérénité, sa facile ferveur, qui l'agenouillait dans un ravissement de fille, sans qu'il sentit même la meurtrissure du sol à ses genoux. Il s'ingéniait à trouver une volupté au fond de la souffrance, à s'y coucher, à s'yendormir. Mais, pendant qu'il bénissait Dieu, ses dents claquaient avec plus d'épouvante, la voix de son sang révolté lui criait que tout cela était un mensonge, que la seule joie désirable était de s'allonger aux bras d'Albine, derrière une haie en fleurs du Paradou.