La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1831)

Partie : Livre 3, chapitre IX

Confession de l'être entier, entretien libre, sans l'embarras de la langue, effusion naturelle du cœur, s'envolant avant la pensée elle-même. L'abbé Mouret disait tout à Jésus, comme à un Dieu venu dans l'intimité de sa tendresse, et qui peut tout entendre. Il avouait qu'il aimait toujours Albine ; il s'étonnait d'avoir pu lamaltraiter, la chasser, sans que ses entrailles se fussent révoltées ; cela l'émerveillait, il souriait d'une façon sereine, comme mis en présence d'un acte miraculeusement fort, accompli par un autre. Et Jésus répondait que cela ne devait pas l'étonner, que les plus grands saints étaient souvent des armes inconscientes aux mains de Dieu. Alors, l'abbé exprimait un doute : n'avait-il pas eu moins de mérite à se réfugier au pied de l'autel et jusque dans la Passion de son Seigneur ? N'était-il pas encore d'un faible courage, puisqu'il n'osait combattre seul ? Mais Jésus se montrait tolérant ; il expliquait que la faiblesse de l'homme est la continuelle occupation de Dieu, il disait préférer les âmes souffrantes, dans lesquelles il venait s'asseoir comme un ami au chevet d'un ami. Etait-ce une damnation d'aimer Albine ? Non, si cet amour allait au-delà de la chair, s'il ajoutait une espérance au désir de l'autre vie. Puis, comment fallait-il l'aimer ? Sans une parole, sans un pas vers elle, en laissant cette tendresse toute pure s'exhaler ainsi qu'une bonne odeur, agréable au ciel. Là, Jésus avait un léger rire de bienveillance, se rapprochant, encourageant les aveux, si bien que le prêtre peu à peu s'enhardissait à lui détailler la beauté d'Albine. Elle avait les cheveux blonds des anges. Elle était toute blanche avec de grands yeux doux, pareille aux saintes qui ont des auréoles. Jésus se taisait, mais riait toujours. Et qu'elle avait grandi ! Elle ressemblait à une reine, maintenant, avec sa taille ronde, ses épaules superbes. Oh ! la prendre à la taille, ne fût-ce qu'une seconde, et sentir ses épaules se renverser sous cette étreinte ! Le rire de Jésus pâlissait, mourait comme un rayon d'astre au bord de l'horizon. L'abbé Mouret parlait seul, à présent. Vraiment, il s'était montré trop dur.Pourquoi avoir chassé Albine, sans un mot de tendresse, puisque le ciel permettait d'aimer ?

?>