La Faute de l'Abbé Mouret
La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1725)
Partie : Livre 3, chapitre VII
Le cochon entrait. Ce n'était plus le petit cochon, rose comme un joujou fraîchement peint, le derrière planté d'une queue pareille à un bout de ficelle ; mais un fort cochon, bon à tuer, rond comme une bedaine de chantre, l'échine couverte de soies rudes qui pissaient la graisse. Il avait le ventre couleur d'ambre, pour avoir dormi dans le fumier. Le groin en avant, roulant sur ses pattes, il se jeta au milieu des bêtes, ce qui permit à Désirée de s'échapperet de courir donner aux lapins les quelques herbes qu'elle avait si vaillamment défendues. Quand elle revint, la paix était faite. Les oies balançaient le cou mollement, stupides, béates ; les canards et les dindes s'en allaient le long des murs, avec des déhanchements prudents d'animaux infirmes ; les poules caquetaient à voix basse, piquant un grain invisible dans le sol dur de l'écurie ; tandis que le cochon, la chèvre, la grande vache, comme peu à peu ensommeillés, clignaient les paupières. Au-dehors, une pluie d'orage commençait à tomber.