La Faute de l'Abbé Mouret
La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1417)
Partie : Livre 3, chapitre 1
Mon cher frère, reprit l'abbé Mouret, à demi tourné vers le grand Fortuné, c'est Dieu qui vous accorde aujourd'hui une compagne ; car il n'a pas voulu que l'homme vécût solitaire. Mais, s'il a décidé qu'elle serait votre servante, il exige de vous que vous soyez un maître plein de douceur et d'affection. Vous l'aimerez, parce qu'elle est votre chair elle-même, votre sang et vos os. Vous la protégerez, parce que Dieu ne vous a donné vos bras forts que pour les étendre au-dessus de sa tête, aux heures de danger. Rappelez-vous qu'elle vous est confiée ; elle est la soumission et la faiblesse dont vous ne sauriez abuser sans crime. Oh ! mon cher frère, quelle fierté heureuse doit être la vôtre ! Désormais, vous ne vivrez plus dans l'égoïsme de la solitude. A toute heure, vous aurez un devoir adorable. Rien n'est meilleur que d'aimer, si ce n'est de protéger ceux qu'on aime. Votre cœur s'y élargira, vos forces d'homme s'y centupleront. Oh ! être un soutien, recevoir une tendresse en garde, voir une enfant s'anéantir en vous, en disant : " Prends-moi, fais de moi ce qu'il te plaira ; j'ai confiance dans ta loyauté ! " Et que vous soyez damné, si vous la délaissiez jamais ! Ce serait le plus lâche abandon que Dieu eût à punir. Dès qu'elle s'est donnée, elle est vôtre, pourtoujours. Emportez-la plutôt entre vos bras, ne la posez à terre que lorsqu'elle devra y être en sûreté. Quittez tout, mon cher frère...