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Le lendemain matin, Albine voulut partir dès le lever du soleil, pour la grande promenade qu'elle ménageait depuis la ville. Elle tapait des pieds joyeusement, elle disait qu'ils ne rentreraient pas de la journée.
Où me mènes-tu donc ? demanda Serge.
Tu verras, tu verras !
Mais il la prit par les poignets, la regarda en face.
Il faut être sage, n'est-ce pas ? Je ne veux pas que tu cherches ni ta clairière, ni ton arbre, ni ton herbe où l'on meurt. Tu sais que c'est défendu.
Elle rougit légèrement, en protestant, en disant qu'elle ne songeait pas même à ces choses. Puis, elle ajouta :
Pourtant, si nous trouvions, sans chercher, par hasard, est-ce que tu ne t'assoirais pas ?... Tu m'aimes donc bien peu !
Ils partirent. Ils traversèrent le parterre tout droit, sans s'arrêter au réveil des fleurs, nues dans leur bain de rosée. Le matin avait un teint de rose, un sourire de bel enfant ouvrant les yeux au milieu des blancheurs de son oreiller.
Où me mènes-tu ? répétait Serge. Et Albine riait, sans vouloir répondre. Mais, comme ils arrivaient devantla nappe d'eau qui coupait le jardin au bout du parterre, elle resta toute consternée. La rivière était encore gonflée des dernières pluies.
Nous ne pourrons jamais passer, murmura-t-elle. J'ôte mes souliers, je relève mes jupes d'ordinaire. Mais, aujourd'hui, nous aurions de l'eau jusqu'à la taille.
Ils longèrent un instant la rive, cherchant un gué. La jeune fille disait que c'était inutile, qu'elle connaissait tous les trous. Autrefois, un pont se trouvait là, un pont dont l'écroulement avait semé la rivière de grosses pierres, entre lesquelles l'eau passait avec des tourbillons d'écume.
Monte sur mon dos, dit Serge.
Non, non, je ne veux pas. Si tu venais à glisser, nous ferions un fameux plongeon tous les deux... Tu ne sais pas comme ces pierres-là sont traîtres.
Monte donc sur mon dos.
Cela finit par la tenter. Elle prit son élan, sauta comme un garçon, si haut, qu'elle se trouva à califourchon sur le cou de Serge. Et, le sentant chanceler, elle cria qu'il n'était pas encore assez fort, qu'elle voulait descendre. Puis, elle sauta de nouveau, à deux reprises. Ce jeu les ravissait.
Quand tu auras fini ! dit le jeune homme, qui riait. Maintenant, tiens-toi ferme. C'est le grand coup.
Et, en trois bonds légers, il traversa la rivière, la pointe des pieds à peine mouillée. Au milieu, pourtant, Albine crut qu'il glissait. Elle eut un cri, en se rattrapantdes deux mains à son menton. Lui, l'emportait déjà, dans un galop de cheval, sur le sable fin de l'autre rive.
Hue ! Hue ! criait-elle, rassurée, amusée par ce jeu nouveau.
Il courut ainsi tant qu'elle voulut, tapant des pieds, imitant le bruit des sabots. Elle claquait de la langue, elle avait pris deux mèches de ses cheveux, qu'elle tirait comme des guides, pour le lancer à droite ou à gauche.
Là, là, nous y sommes, dit-elle, en lui donnant de petites claques sur les joues.
Elle sauta à terre, tandis que lui, en sueur, s'adossait contre un arbre pour reprendre haleine. Alors, elle le gronda, elle menaça de ne pas le soigner, s'il retombait malade.
Laisse donc ! Ça m'a fait du bien, répondit-il. Quand j'aurai retrouvé toutes mes forces, je te porterai des matinées entières... Où me mènes-tu ?
Ici, dit-elle en s'asseyant avec lui sous un gigantesque poirier.
Ils étaient dans l'ancien verger du parc. Une haie vive d'aubépine, une muraille de verdure, trouée de brèches, mettait là un bout de jardin à part. C'était une forêt d'arbres fruitiers, que la serpe n'avait pas taillés depuis un siècle. Certains troncs se déjetaient puissamment, poussaient de travers, sous les coups d'orage qui les avaient pliés ; tandis que d'autres, bossués de nœuds énormes, crevassés de cavités profondes, ne semblaient plus tenir au sol que par les ruines géantes de leur écorce. Les hautes branches, que le poids des fruits courbait àchaque saison, étendaient au loin des raquettes démesurées ; même, les plus chargées, qui avaient cassé, touchaient la terre, sans qu'elles eussent cessé de produire, raccommodées par d'épais bourrelets de sève. Entre eux, les arbres se prêtaient des étais naturels, n'étaient plus que des piliers tordus, soutenant une voûte de feuilles qui se creusait en longues galeries, s'élançait brusquement en halles légères, s'aplatissait presque au ras du sol en soupentes effondrées. Autour de chaque colosse, des rejets sauvages faisaient des taillis, ajoutaient l'emmêlement de leurs jeunes tiges, dont les petites baies avaient une aigreur exquise. Dans le jour verdâtre, qui coulait comme une eau claire, dans le grand silence de la mousse, retentissait seule la chute sourde des fruits que le vent cueillait.
Et il y avait des abricotiers patriarches, qui portaient gaillardement leur grand âge, paralysés déjà d'un côté, avec une forêt de bois mort, pareil à un échafaudage de cathédrale, mais si vivants de leur autre moitié, si jeunes, que des pousses tendres faisaient éclater l'écorce rude de toutes parts. Des pruniers vénérables, tout chenus de mousse, grandissaient encore pour aller boire l'ardent soleil, sans qu'une seule de leurs feuilles pâtit. Des cerisiers bâtissaient des villes entières, des maisons à plusieurs étages, jetant des escaliers, établissant des planchers de branches, larges à y loger dix familles. Puis, c'étaient des pommiers, les reins cassés, les membres contournés, comme de grands infirmes, la peau racheuse, maculée de rouille verte ; des poiriers lisses, dressant une mâture de hautes tiges minces, immense, semblable à l'échappée d'un port, rayant l'horizon de barres brunes ;des pêchers rosâtres, se faisant faire place dans l'écrasement de leurs voisins, par un rire aimable et une poussée lente de belles filles égarées au milieu d'une foule. Certains pieds, anciennement en espaliers, avaient enfoncé les murailles basses qui les soutenaient ; maintenant, ils se débauchaient, libres des treillages dont les lambeaux arrachés pendaient encore à leurs bras ; ils poussaient à leur guise, n'ayant conservé de leur taille particulière que des apparences d'arbres comme il faut, traînant dans le vagabondage les loques de leur habit de gala. Et, à chaque tronc, à chaque branche, d'un arbre à l'autre, couraient des débandades de vigne. Les ceps montaient comme des rires fous, s'accrochaient un instant à quelque nœud élevé, puis repartaient en un jaillissement de rires plus sonores, éclaboussant tous les feuillages de l'ivresse heureuse des pampres. C'était un vert tendre doré de soleil qui allumait d'une pointe d'ivrognerie les têtes ravagées des grands vieillards du verger.
Puis, vers la gauche, des arbres plus espacés, des amandiers au feuillage grêle, laissaient le soleil mûrir à terre des citrouilles pareilles à des lunes tombées. Il y avait aussi, au bord d'un ruisseau qui traversait le verger, des melons couturés de verrues, perdus dans des nappes de feuilles rampantes, ainsi que des pastèques vernies, d'un ovale parfait d'œuf d'autruche. A chaque pas, des buissons de groseilliers barraient les anciennes allées, montrant les grappes limpides de leurs fruits, des rubis dont chaque grain s'éclairait d'une goutte de jour. Des haies de framboisiers s'étalaient comme des ronces sauvages ; tandis que le sol n'était plus qu'un tapis defraisiers, une herbe toute semée de fraises mûres, dont l'odeur avait une légère fumée de vanille.
Mais le coin enchanté du verger était plus à gauche encore, contre la rampe de rochers qui commençait là à escalader l'horizon. On entrait en pleine terre ardente, dans une serre naturelle, où le soleil tombait d'aplomb. D'abord, il fallait traverser des figuiers gigantesques, dégingandés, étirant leurs branches comme des bras grisâtres las de sommeil, si obstrués du cuir velu de leurs feuilles, qu'on devait, pour passer, casser les jeunes tiges repoussant des pieds séchés par l'âge. Ensuite, on marchait entre des bouquets d'arbousiers, d'une verdure de buis géants, que leurs baies rouges faisaient ressembler à des mais ornés de pompons de soie écarlate. Puis, venait une futaie d'aliziers, d'azeroliers, de jujubiers, au bord de laquelle des grenadiers mettaient une lisière de touffes éternellement vertes ; les grenades se nouaient à peine, grosses comme un poing d'enfant ; les fleurs de pourpre, posées sur le bout des branches, paraissaient avoir le battement d'ailes des oiseaux des îles, qui ne courbent pas les herbes sur lesquelles ils vivent. Et l'on arrivait enfin à un bois d'orangers et de citronniers, poussant vigoureusement en pleine terre. Les troncs droits enfonçaient des enfilades de colonnes brunes ; les feuilles luisantes mettaient la gaieté de leur claire peinture sur le bleu du ciel, découpaient l'ombre nettement en minces lames pointues, qui dessinaient à terre les millions de palmes d'une étoffe indienne. C'était un ombrage au charme tout autre, auprès duquel les ombrages du verger d'Europe devenaient fades : une joie tiède de la lumière tamisée en une poussière d'or volante,une certitude de verdure perpétuelle, une force de parfum continu, le parfum pénétrant de la fleur, le parfum plus grave du fruit, donnant aux membres la souplesse pâmée des pays chauds.
Et nous allons déjeuner ! cria Albine, en tapant dans ses mains. Il est au moins neuf heures. J'ai une belle faim !
Elle s'était levée. Serge confessait qu'il mangerait volontiers, lui aussi.
Grand bêta ! reprit-elle, tu n'as donc pas compris que je te menais déjeuner. Hein ! nous ne mourrons pas de faim, ici ? Tout est pour nous.
Ils entrèrent sous les arbres, écartant les branches, se coulant au plus épais des fruits. Albine qui marchait la première, les jupes entre les jambes, se retournait, demandait à son compagnon, de sa voix flûtée :
Qu'est-ce que tu aimes, toi ? les poires, les abricots, les cerises, les groseilles ?... Je te préviens que les poires sont encore vertes ; mais elles sont joliment bonnes tout de même.
Serge se décida pour les cerises. Albine dit qu'en effet on pouvait commencer par ça. Mais, comme il allait sottement grimper sur le premier cerisier venu, elle lui fit faire encore dix bonnes minutes de chemin, au milieu d'un gâchis épouvantable de branches. Ce cerisier-là avait de méchantes cerises de rien du tout ; les cerises de celui-ci étaient trop aigres ; les cerises de cet autre ne seraient mûres que dans huit jours. Elle connaissait tous les arbres.
Tiens, monte là-dedans, dit-elle enfin, en s'arrêtant devant un cerisier si chargé de fruits, que des grappes pendaient jusqu'à terre comme des colliers de corail accrochés.
Serge s'établit commodément entre deux branches, et se mit à déjeuner. Il n'entendait plus Albine ; il la croyait dans un autre arbre, à quelques pas, lorsque, baissant les yeux, il l'aperçut tranquillement couchée sur le dos, au-dessous de lui. Elle s'était glissée là, mangeant sans même se servir des mains, happant des lèvres les cerises que l'arbre tendait jusqu'à sa bouche.
Quand elle se vit découverte, elle eut des rires prolongés, sautant sur l'herbe comme un poisson blanc sorti de l'eau, se mettant sur le ventre, rampant sur les coudes, faisant le tour du cerisier, tout en continuant à happer les cerises les plus grosses.
Figure-toi, elles me chatouillent ! criait-elle. Tiens, en voilà encore une qui vient de me tomber dans le cou. C'est qu'elles sont joliment fraîches !... Moi, j'en ai dans les oreilles, dans les yeux, sur le nez, partout ! Si je voulais, j'en écraserais une pour me faire des moustaches... Elles sont bien plus douces en bas qu'en haut.
Allons donc ! dit Serge en riant. C'est que tu n'oses pas monter.
Elle resta muette d'indignation.
Moi ! moi ! balbultia-t-elle.
Et, serrant sa jupe, la rattachant par-devant à sa ceinture, sans voir quelle montrait ses cuisses, elle pritl'arbre nerveusement, se hissa sur le tronc, d'un seul effort des poignets. Là, elle courut le long des branches, en évitant même de se servir des mains ; elle avait des allongements souples d'écureuil, elle tournait autour des nœuds, lâchait les pieds, tenue seulement en équilibre par le pli de la taille. Quand elle fut tout en haut, au bout d'une branche grêle, que le poids de son corps secouait furieusement :
Eh bien ! cria-t-elle, est-ce que j'ose monter ?
Veux-tu vite descendre ! implorait Serge pris de peur. Je t'en prie. Tu vas te faire du mal.
Mais, triomphante, elle alla encore plus haut. Elle se tenait à l'extrémité même de la branche, à califourchon, s'avançant petit à petit au-dessus du vide, empoignant des deux mains des touffes de feuilles.
La branche va casser, dit Serge éperdu.
Qu'elle casse, pardi ! répondit-elle avec un grand rire. Ça m'évitera la peine de descendre.
Et la branche cassa, en effet ; mais lentement, avec une si longue déchirure, qu'elle s'abattit peu à peu, comme pour déposer Albine à terre d'une façon très douce. Elle n'eut pas le moindre effroi, elle se renversait, elle agitait ses cuisses demi-nues, en répétant :
C'est joliment gentil. On dirait une voiture.
Serge avait sauté de l'arbre pour la recevoir dans ses bras. Comme il restait tout pâle de l'émotion qu'il venait d'avoir, elle le plaisanta.
Mais ça arrive tous les jours de tomber des arbres. Jamais on ne se fait de mal... Ris donc, gros bêta ! Tiens, mets-moi un peu de salive sur le cou. Je me suis égratignée.
Il lui mit un peu de salive, du bout des doigts.
Là, c'est guéri, cria-t-elle, en s'échappant, avec une gambade de gamine. Nous allons jouer à cache-cache, veux-tu ?
Elle se fit chercher. Elle disparaissait, jetait le cri : Coucou ! coucou ! du fond de verdures connues d'elle seule, où Serge ne pouvait la trouver. Mais ce jeu de cache-cache n'allait pas sans une maraude terrible de fruits. Le déjeuner continuait dans les coins où les deux grands enfants se poursuivaient. Albine, tout en filant sous les arbres, allongeait la main, croquait une poire verte, s'emplissait la jupe d'abricots. Puis, dans certaines cachettes, elle avait des trouvailles qui l'asseyaient par terre, oubliant le jeu, occupée à manger gravement. Un moment, elle n'entendit plus Serge, elle dut le chercher à son tour. Et ce fut pour elle une surprise, presque une fâcherie, de le découvrir sous un prunier, un prunier qu'elle-même ne savait pas là, et dont les prunes mûres avaient une délicate odeur de musc. Elle le querella de la belle façon. Voulait-il donc tout avaler, qu'il n'avait soufflé mot ? Il faisait la bête, mais il avait le nez fin, il sentait de loin les bonnes choses. Elle était surtout furieuse contre le prunier, un arbre sournois qu'on ne connaissait seulement pas, qui devait avoir poussé dans la nuit, pour ennuyer les gens. Serge, comme elle boudait, refusant de cueillir une seule prune, imagina de secouerl'arbre violemment. Une pluie, une grêle de prunes tomba. Albine, sous l'averse, reçu des prunes sur les bras, des prunes dans le cou, des prunes au beau milieu du nez. Alors, elle ne put retenir ses rires ; elle resta dans ce déluge, criant : Encore ! encore ! amusée par les balles rondes qui rebondissaient sur elle, tendant la bouche et les mains, les yeux fermés, se pelotonnant à terre pour se faire toute petite.
Matinée d'enfance, polissonnerie de galopins lâchés dans le Paradou. Albine et Serge passèrent là des heures puériles d'école buissonnière, à courir, à crier, à se taper, sans que leurs chairs innocentes eussent un frisson. Ce n'était encore que la camaraderie de deux garnements, qui songeront peut-être plus tard à se baiser sur les joues, lorsque les arbres n'auront plus de dessert à leur donner. Et quel joyeux coin de nature pour cette première escapade ! Un trou de feuillage, avec des cachettes excellentes. Des sentiers le long desquels il n'était pas possible d'être sérieux, tant les haies laissaient tomber de rires gourmands. Le parc avait, dans cet heureux verger, une gaminerie de buissons s'en allant à la débandade, une fraîcheur d'ombre invitant à la faim, une vieillesse de bons arbres pareils à des grands-pères pleins de gâteries. Même, au fond des retraites vertes de mousse, sous les troncs cassés qui les forçaient à ramper l'un derrière l'autre, dans des corridors de feuilles, si étroits, que Serge s'attelait en riant aux jambes nues d'Albine, ils ne rencontraient point la rêverie dangereuse du silence. Rien de troublant ne leur venait du bois en récréation.
Et quand ils furent las des abricotiers, des pruniers, des cerisiers, ils coururent sous les amandiers grêles,mangeant les amandes vertes, à peine grosses comme des pois, cherchant les fraises parmi le tapis d'herbe, se fâchant de ce que les pastèques et les melons n'étaient pas mûrs. Albine finit par courir de toutes ses forces, suivie de Serge, qui ne pouvait l'attraper. Elle s'engagea dans les figuiers, sautant les grosses branches, arrachant les feuilles qu'elle jetait par-derrière à la figure de son compagnon. En quelques bonds, elle traversa les bouquets d'arbousiers, dont elle goûta en passant les baies rouges ; et ce fut dans la futaie des aliziers, des azeroliers et des jujubiers que Serge la perdit. Il la crut d'abord cachée derrière un grenadier ; mais c'était deux fleurs en bouton qu'il avait pris pour les deux nœuds roses de ses poignées. Alors, il battit le bois d'orangers, ravi du beau temps qu'il faisait là, s'imaginant entrer chez les fées du soleil. Au milieu du bois, il aperçut Albine qui, ne le croyant pas si près d'elle, furetait vivement, fouillait du regard les profondeurs vertes.
Qu'est-ce que tu cherches donc là ? cria-t-il. Tu sais bien que c'est défendu.
Elle eut un sursaut, elle rougit légèrement, pour la première fois de la journée. Et, s'asseyant à côté de Serge, elle lui parla des jours heureux où les oranges mûrissaient. Le bois alors était tout doré, tout éclairé de ces étoiles rondes, qui criblaient de leurs feux jaunes la voûte verte.
Puis, quand ils s'en allèrent enfin, elle s'arrêta à chaque rejet sauvage, s'emplissant les poches de petites poires âpres, de petites prunes aigres, disant que ce serait pour manger en route. C'était cent fois meilleur que toutce qu'ils avaient goûté jusque-là. Il fallut que Serge en avalât, malgré les grimaces qu'il faisait à chaque coup de dent. Ils rentrèrent éreintés, heureux, ayant tant ri, qu'ils avaient mal aux côtes. Même, ce soir-là, Albine n'eut pas le courage de remonter chez elle ; elle s'endormit aux pieds de Serge, en travers sur le lit, rêvant qu'elle montait aux arbres, achevant de croquer en dormant les fruits des sauvageons, qu'elle avait cachés sous la couverture, à côté d'elle.