La Débâcle
La Débâcle (paragraphe n°3206)
Chapitre VIII
Et, à cette minute, leurs yeux se rencontrèrent, et ils restèrent bouleversés de ce qu'ils pouvaient enfin y lire nettement. Le passé s'évoquait, la chambre perdue de Remilly, où ils avaient vécu des jours si tristes et si doux. Lui, retrouvait son rêve, d'abord inconscient, ensuite à peine formulé : la vie là-bas, un mariage, une petite maison, la culture d'un champ qui suffirait à nourrir un ménage de braves gens modestes. Maintenant, c'était un désir ardent, une certitude aiguë qu'avec une femme comme elle, si tendre, si active, si brave, la vie serait devenue une véritable existence de paradis. Et, elle, qui autrefois n'était pas même effleurée par ce rêve, dans le don chaste et ignoré de son cœur, voyait clair à présent, comprenait tout d'un coup. Ce mariage lointain, elle-même l'avait voulu alors, sans le savoir. La graine qui germait avait cheminé sourdement, elle l'aimait d'amour, ce garçon près duquel elle n'avait d'abord été que consolée. Et leurs regards se disaient cela, et ils ne s'aimaient ouvertement, à cette heure, que pour l'adieu éternel. Il fallait encore cet affreux sacrifice, l'arrachement dernier, leur bonheur possible la veille s'écroulant aujourd'hui avec le reste, s'en allant avec le flot de sang qui venait d'emporter leur frère.