La Débâcle
La Débâcle (paragraphe n°320)
Partie : PREMIERE PARTIE, chapitre III
Jean, dans son étroit bon sens, avait eu un hochement de tête : une sacrée malchance pour une armée, un pareil chef ! Et, dix minutes plus tard, après avoir serré la main de Prosper, lorsque Maurice, heureux de son fin déjeuner, s'en alla fumer en flânant d'autres cigarettes, il emporta cette image de l'empereur, si blême et si vague, passant au petit trot de son cheval. C'était le conspirateur, le rêveur à qui l'énergie manque au moment de l'action. On le disait très bon, très capable d'une grande et généreuse pensée, très tenace d'ailleurs en son vouloir d'homme silencieux ; et il était aussi très brave, méprisant le danger en fataliste prêt toujours à subir le destin. Mais il semblait frappé de stupeur dans les grandes crises, comme paralysé devant l'accomplissement des faits, impuissant dès lors à réagir contre la fortune, si elle lui devenait adverse. Et Maurice se demandait s'il n'y avait pas là un état physiologique spécial, aggravé par la souffrance, si la maladie dont l'empereur souffrait visiblement n'était pas la cause de cette indécision, de cette incapacité grandissantes qu'il montrait depuis lecommencement de la campagne. Cela aurait tout expliqué. Un gravier dans la chair d'un homme, et les empires s'écroulent.