La Débâcle
La Débâcle (paragraphe n°2651)
Chapitre IV
Cependant, Henriette et lui gardèrent une grande tristesse de ces mauvaises nouvelles. Il y eut, le soir même, une rafale de neige, et le lendemain, lorsque Henriette, toute frissonnante, rentra de l'ambulance, elle annonça que Gutmann était mort. Ce grand froid décimait les blessés, vidait les rangées de lits. Le misérable muet, la bouche amputée de sa langue, avait râlé deux jours. Pendant les dernières heures, elle était restée à son chevet, tant il la regardait d'un regard suppliant. Il lui parlait de ses yeux en larmes, il lui disait peut-être son vrai nom, le nom du village lointain, dans lequel une femme et des enfants l'attendaient. Et il s'en était allé inconnu, en lui envoyant, de ses doigts tâtonnants, un dernier baiser, comme pour la remercier encore de ses bons soins. Elle fut seule à l'accompagner au cimetière, où la terre gelée, cette lourde terre étrangère, tombasourdement sur son cercueil de sapin, avec des paquets de neige.