La Débâcle
La Débâcle (paragraphe n°2615)
Chapitre IV
Mais il y avait surtout la salle des damnés, de ceux qui étaient frappés de dysenterie, de typhus, de variole. Beaucoup avaient la variole noire. Ils se remuaient, criaient dans un délire incessant, se dressaient sur leur lit, debout comme des spectres. D'autres, touchés aux poumons, se mouraient de pneumonie, avec des toux affreuses. D'autres, qui hurlaient, n'étaient soulagés que sous le filet d'eau froide, dont on rafraîchissait continuellement leurs blessures. C'était l'heure attendue, l'heure du pansement, qui seule amenait un peu de calme, aérait les lits, délassait les corps raidis à la longue dans la même position. Et c'était aussi l'heure redoutée, car pas un jour ne se passait, sans que le docteur, en examinant les plaies, eût le chagrin de remarquer sur la peau de quelque pauvre diable des points bleuâtres, les taches de la gangrène envahissante. L'opération avait lieu le lendemain. Encore un bout de jambe ou de bras coupé. Parfois même, la gangrène montait plus haut, il fallait recommencer, jusqu'à ce qu'on eût rogné tout le membre. Puis, l'homme entier y passait, il avait le corps envahi par les plaques livides du typhus, il fallait l'emmener, vacillant, ivre et hagard, dans la salle des damnés, où il succombait, la chair morte déjà et sentant le cadavre, avant l'agonie.