La Débâcle
La Débâcle (paragraphe n°1478)
Partie : DEUXIEME PARTIE, chapitre IV
Là seulement, les obus tombaient. Henriette resta figée, très pâle, dans l'assourdissement d'une effrayante détonation, dont le coup de vent l'enveloppa. Un projectile venait d'éclater devant elle, à quelques mètres. Elle tourna la tête, examina les hauteurs de la rive gauche, d'où montaient les fumées des batteries allemandes ; et elle comprit, se remit en marche, les yeux fixés sur l'horizon, guettant les obus, pour les éviter. La témérité folle de sa course n'allait pas sans un grand sang-froid, toute la tranquillité brave dont sa petite âme de bonne ménagère était capable. Elle voulait ne pas être tuée, retrouver son mari, le reprendre, vivre ensemble,heureux encore. Les obus ne cessaient plus, elle filait le long des murs, se jetait derrière les bornes, profitait des moindres abris. Mais il se présenta un espace découvert, un bout de chemin défoncé, déjà couvert d'éclats ; et elle attendait, à l'encoignure d'un hangar, lorsqu'elle aperçut, devant elle, au ras d'une sorte de trou, la tête curieuse d'un enfant, qui regardait. C'était un petit garçon de dix ans, pieds nus, habillé d'une seule chemise et d'un pantalon en lambeaux, quelque rôdeur de route, très amusé par la bataille. Ses minces yeux noirs pétillaient, et il s'exclamait d'allégresse, à chaque détonation.