La Débâcle
La Débâcle (paragraphe n°1377)
Partie : DEUXIEME PARTIE, chapitre III
Et, malgré elle, Henriette sourit à son tour. Elle se rappelait leur enfance, lorsque le père de Gilberte, le commandant de Vineuil, nommé directeur des Douanes à Charleville, à la suite de ses blessures, avait envoyé sa fille dans une ferme, près du Chêne-Populeux, inquiet de l'entendre tousser, hanté par la mort de sa femme, que la phtisie venait d'emporter toute jeune. La fillette n'avait que neuf ans, et déjà elle était d'une coquetterieturbulente, elle jouait la comédie, voulait toujours faire la reine, drapée dans tous les chiffons qu'elle trouvait, gardant le papier d'argent du chocolat pour s'en fabriquer des bracelets et des couronnes. Plus tard, elle était restée la même, lorsque, à vingt ans, elle avait épousé l'inspecteur des forêts Maginot, Mézières, resserré entre ses remparts, lui déplaisait, et elle continuait d'habiter Charleville, dont elle aimait la vie large, égayée de fêtes. Son père n'était plus, elle jouissait d'une liberté entière, avec un mari commode, dont la nullité la laissait sans remords. La malignité provinciale lui avait prêté beaucoup d'amants, mais elle ne s'était réellement oubliée qu'avec le capitaine Beaudoin, dans le flot d'uniformes où elle vivait, grâce aux anciennes relations de son père et à sa parenté avec le colonel de Vineuil. Elle était sans méchanceté perverse, adorant simplement le plaisir ; et il semblait bien certain qu'en prenant un amant, elle avait cédé à son irrésistible besoin d'être belle et gaie.