La Curée
La Curée (paragraphe n°522)
Chapitre III
Dans cette fortune, qui avait les clameurs et le débordement d'un torrent d'hiver, la dot de Renée se trouvait secouée, emportée, noyée. La jeune femme, méfiante les premiers jours, voulant gérer ses biens elle-même, se lassa bientôt des affaires ; puis elle se sentit pauvre à côté de son mari, et, la dette l'écrasant, elle dut avoir recours à lui, lui emprunter de l'argent, se mettre à sa discrétion. A chaque nouveau mémoire, qu'il payait avec un sourire d'homme tendre aux faiblesses humaines, elle se livrait un peu plus, lui confiait des titres de rente, l'autorisait à vendre ceci ou cela. Quand ils vinrent habiter l'hôtel du parc Monceau, elle se trouvait déjà presque entièrement dépouillée. Il s'était substitué à l'Etat et lui servait la rente des cent mille francs provenant de la rue de la Pépinière ; d'autre part, il lui avait fait vendre la propriété de la Sologne, pour en mettre l'argent dans une grande affaire, un placement superbe, disait-il. Elle n'avait donc plus entre les mains que les terrains de Charonne, qu'elle refusait obstinément d'aliéner, pour ne pas attrister l'excellente tante Elisabeth. Et là encore, il préparait un coup de génie, avec l'aide de son ancien complice Larsonneau. D'ailleurs, elle restait son obligée ; s'il lui avait pris sa fortune, il lui en payait cinq ou six fois les revenus. La rente des cent mille francs, jointe auproduit de l'argent de la Sologne, montait à peine à neuf ou dix mille francs, juste de quoi solder sa lingère et son cordonnier. Il lui donnait ou donnait pour elle quinze et vingt fois cette misère. Il aurait travaillé huit jours pour lui voler cent francs, et il l'entretenait royalement. Aussi, comme tout le monde, elle avait le respect de la caisse monumentale de son mari, sans chercher à pénétrer le néant de ce fleuve d'or qui lui passait sous les yeux, et dans lequel elle se jetait chaque matin.