La Curée

La Curée (paragraphe n°457)

Chapitre III

Saccard maquignonna une grosse affaire avec la Ville. Celle-ci, obérée, écrasée par sa dette, entraînée dans cette danse des millions qu'elle avait mise en branle, pour plaire à l'empereur et remplir certaines poches, en était réduite aux emprunts déguisés, ne voulant pas avouer ses fièvres chaudes, sa folie de la pioche et du moellon. Elle venait de créer alors ce qu'elle nommait desbons de délégation, de véritables lettres de change à longue date, pour payer les entrepreneurs, le jour même de la signature des traités, et leur permettre ainsi de trouver des fonds en négociant les bons. Le Crédit viticole avait gracieusement accepté ce papier de la main des entrepreneurs. Le jour où la Ville manqua d'argent, Saccard alla la tenter. Une somme considérable lui fut avancée, sur une émission de bons de délégation, que monsieur Toutin-Laroche jura tenir de compagnies concessionnaires, et qu'il traîna dans tous les ruisseaux de la spéculation. Le Crédit viticole était désormais inattaquable ; il tenait Paris à la gorge. Le directeur ne parlait plus qu'avec un sourire de la fameuse Société générale des ports du Maroc ; elle vivait pourtant toujours, et les journaux continuaient à célébrer régulièrement les grandes stations commerciales. Un jour que monsieur Toutin-Laroche engageait Saccard à prendre des actions de cette société, celui-ci lui rit au nez, en lui demandant s'il le croyait assez bête pour placer son argent dans la " Compagnie générale des Mille et Une Nuits. "

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