Monsieur Toutin-Laroche, grand et maigre, ancien inventeur d'un mélange de suif et de stéarine pour la fabrication des bougies, rêvait le Sénat. Il s'était fait l'inséparable du baron Gouraud ; il se frottait à lui, avec l'idée vague que cela lui porterait bonheur. Au fond, il était très pratique, et s'il eût trouvé un fauteuil de sénateur à acheter, il en aurait âprement débattu le prix. L'Empire allait mettre en vue cette nullité avide, ce cerveau étroit qui avait le génie des tripotages industriels. Il vendit le premier son nom à une compagnie véreuse, à une de ces sociétés qui poussèrent comme des champignons empoisonnés sur le fumier des spéculations impériales. On put voir collée aux murs, à cette époque, une affiche portant en grosses lettres noires ces mots : Société générale des ports du Maroc, et dans laquelle le nom de monsieur Toutin-Laroche, avec son titre de conseiller municipal, s'étalait, en tête de liste des membres du conseil de surveillance, tous plus inconnus les uns que lesautres. Ce procédé, dont on a abusé depuis, fit merveille ; les actionnaires accoururent, bien que la question des ports du Maroc fût peu claire et que les braves gens qui apportaient leur argent ne pussent expliquer eux-mêmes à quelle œuvre on allait l'employer. L'affiche parlait superbement d'établir des stations commerciales le long de la Méditerranée. Depuis deux ans, certains journaux célébraient cette opération grandiose, qu'ils déclaraient plus prospère tous les trois mois. Au conseil municipal, monsieur Toutin-Laroche passait pour un administrateur de premier mérite ; il était une des fortes têtes de l'endroit, et sa tyrannie aigre sur ses collègues n'avait d'égale que sa platitude dévote devant le préfet. Il travaillait déjà à la création d'une grande compagnie financière, le Crédit viticole, une caisse de prêt pour les vignerons, dont il parlait avec des réticences, des attitudes graves qui allumaient autour de lui les convoitises des imbéciles.