La Curée
La Curée (paragraphe n°1502)
Chapitre VII
La cour avait sa froideur de cloître. Renée fit le tour des arcades, heureuse de l'humidité qui lui tombait sur les épaules. Elle s'approcha de l'auge verte de mousse, polie sur les bords par l'usure ; elle regarda la tête de lion à demi effacée, la gueule entrouverte, qui jetait un filet d'eau par un tube de fer. Que de fois elle et Christine avaient pris cette tête entre leurs bras de gamines, pour se pencher, pour arriver jusqu'au filet d'eau, dont elles aimaient à sentir le jaillissement glacé sur leurs petites mains. Puis elle monta le grand escalier silencieux, elle aperçut son père au fond de l'enfilade des vastes pièces ; il redressait sa haute taille, il s'enfonçait lentement dans l'ombre de la vieille demeure, de cette solitude hautaine où il s'était absolument cloîtré depuis la mort de sa sœur ; et elle songea aux hommes du Bois, à cet autre vieillard, au baron Gouraud, qui faisait rouler sa chair au soleil, sur des oreillers. Elle monta encore, elle prit les corridors, les escaliers de service, elle fit le voyage de la chambre des enfants. Quand elle arriva tout en haut, elle trouva la clef au clou habituel, une grosse clef rouillée, où les araignées avaient filé leurs toiles. La serrure jeta un cri plaintif. Que la chambre des enfants était triste ! Elle eut un serrement de cœur à la retrouver si vide, si grise, si muette. Elle referma la porte de la volière laissée ouverte, avec la vague idée que ce devait être par cette porte ques'étaient envolées les joies de son enfance. Devant les jardinières, pleines encore d'une terre durcie et fendillée comme de la fange sèche, elle s'arrêta, elle cassa de ses doigts une tige de rhododendron ; ce squelette de plante, maigre et blanc de poussière, était tout ce qu'il restait de leurs vivantes corbeilles de verdure. Et la natte, la natte elle-même, déteinte, mangée par les rats, s'étalait avec une mélancolie de linceul qui attend depuis des années la morte promise. Dans un coin, au milieu de ce désespoir muet, de cet abandon dont le silence pleurait, elle retrouva une de ses anciennes poupées ; tout le son avait coulé par un trou, et la tête de porcelaine continuait à sourire de ses lèvres d'émail, au-dessus de ce corps mou, que des folies de poupée semblaient avoir épuisé.