La Curée
La Curée (paragraphe n°1378)
Chapitre VI
Sa nudité l'irritait. Elle tourna la tête, elle regarda autour d'elle. Le cabinet de toilette gardait sa lourdeur musquée, son silence chaud, où les phrases de la valse arrivaient toujours, comme les derniers cercles mourants sur une nappe d'eau. Ce rire affaibli de lointaine volupté passait sur elle avec des railleries intolérables. Elle se boucha les oreilles pour ne plus entendre. Alors elle vit le luxe du cabinet. Elle leva les yeux sur la tente rose, jusqu'à la couronne d'argent qui laissait apercevoir unAmour joufflu apprêtant sa flèche ; elle s'arrêta aux meubles, au marbre de la table de toilette, encombré de pots et d'outils qu'elle ne reconnaissait plus ; elle alla à la baignoire, pleine encore, et dont l'eau dormait ; elle repoussa du pied les étoffes traînant sur le satin blanc des fauteuils, le costume de la nymphe Echo, les jupons, les serviettes oubliées. Et de toutes ces choses montaient des voix de honte : la robe de la nymphe Echo lui parlait de ce jeu qu'elle avait accepté, pour l'originalité de s'offrir à Maxime en public ; la baignoire exhalait l'odeur de son corps, l'eau, où elle s'était trempée, mettait, dans la pièce, sa fièvre de femme malade ; la table avec ses savons et ses huiles, les meubles, avec leurs rondeurs de lit, lui parlaient brutalement de sa chair, de ses amours, de toutes ces ordures qu'elle voulait oublier. Elle revint au milieu du cabinet, le visage pourpre, ne sachant où fuir ce parfum d'alcôve, ce luxe qui se décolletait avec une impudeur de fille, qui étalait tout ce rose. La pièce était nue comme elle ; la baignoire rose, la peau rose des tentures, les marbres roses des deux tables s'animaient, s'étiraient, se pelotonnaient, l'entouraient d'une telle débauche, de voluptés vivantes, qu'elle ferma les yeux, baissant le front, s'abîmant sous les dentelles du plafond et des murs qui l'écrasaient.