La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°903)

Chapitre V

Et elle lui prit le bras d'elle-même, gentiment. Maintenant qu'il n'était plus noir du voyage, elle le trouvait distingué, avec sa mise d'employé à l'aise, son air bourgeois, que relevait une sorte de fierté libre, l'habitude du grand air et du danger bravé chaque jour. Jamais elle n'avait si bien remarqué qu'il était beau garçon, le visagerond et régulier, les moustaches très brunes sur la peau blanche ; et, seuls, ses yeux fuyants, ses yeux semés de points d'or, qui se détournaient d'elle, continuaient à la mettre en défiance. S'il évitait de la regarder en face, était-ce donc qu'il ne voulait pas s'engager, rester maître d'agir à sa guise, même contre elle ? Dès ce moment, dans l'incertitude où elle était encore, reprise d'un frisson, chaque fois qu'elle songeait à ce cabinet de la rue du Rocher où sa vie se décidait, elle n'eut plus qu'un but, sentir à elle, tout à elle, l'homme qui lui donnait le bras, obtenir que, lorsqu'elle levait la tête, il laissât ses yeux dans les siens, profondément. Alors, il lui appartiendrait. Elle ne l'aimait point, elle ne pensait pas même à cela. Simplement, elle s'efforçait de faire de lui sa chose, pour n'avoir plus à le craindre.

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