La Bête humaine
La Bête humaine (paragraphe n°416)
Chapitre III
Dès lors, Roubaud eut tout son sang-froid. Il s'occupa activement de l'express, contrôla chaque détail. Des attelages lui ayant paru mal faits, il exigea qu'on les serrât sous ses yeux. Une mère et ses deux filles, que fréquentait sa femme, voulurent qu'il les installât dans le compartiment des dames seules. Puis, avant de siffler pour donner le signal du départ, il s'assura encore de la bonne ordonnance du train ; et il le regarda longuement s'éloigner, de ce coup d'œil clair des hommes dont une minute de distraction peut coûter des vies humaines. Tout de suite, d'ailleurs, il dut traverser la voie pour recevoir un train de Rouen, qui entrait en gare. Justement, il s'ytrouvait un employé des postes, avec lequel, chaque jour, il échangeait les nouvelles. C'était, dans sa matinée si occupée, un court repos, près d'un quart d'heure, pendant lequel il pouvait respirer, aucun service immédiat ne le réclamant. Et, ce matin-là, comme d'habitude, il roula une cigarette, il causa très gaiement. Le jour avait grandi, on venait d'éteindre les becs de gaz, sous la marquise. Elle était si pauvrement vitrée, qu'une ombre grise y régnait encore ; mais, au-delà, le vaste pan de ciel sur lequel elle ouvrait flambait déjà d'un incendie de rayons ; tandis que l'horizon entier devenait rose, d'une netteté vive de détails, dans cet air pur d'un beau matin d'hiver.